Chapitre 11

Le cœur de Rebeke battait la chamade. Elle était debout au milieu du corridor désert et écoutait le silence qui lui martelait les tympans. Elle avait envie de se hâter pour en finir avec cette épreuve mais la précipitation était source d’erreur. Elle restait donc immobile devant cette porte ordinaire en attendant avec entêtement que ces vestiges absurdes d’émotion humaine veuillent bien disparaître.

Elle venait rarement ici. Seule une urgence pressante pouvait l’y inciter. Elle était restée éveillée toute la nuit, agitée, cherchant à éliminer toute émotion de ses pensées pour se laisser guider par la seule logique. Elle était ici parce que c’était nécessaire. Elle n’avait pas d’autre moyen d’obtenir les informations qui lui manquaient. Elle n’allait pas se présenter à Yoleth et lui demander de livrer les secrets de la porte et de lui dire comment contacter le Limbreth. Et il n’y avait qu’une seule autre personne susceptible de détenir un tel savoir. C’était pour cela qu’elle venait à lui, se répétait-elle pour se convaincre que c’était l’entière vérité. Elle rejetait l’idée que lorsque tous les autres se retournaient contre elle ou se trouvaient aussi démunis qu’elle, elle venait chercher le réconfort auprès de lui. Son orgueil n’admettait pas une telle notion. Son orgueil exigeait qu’elle abandonne tous les désirs amers qu’elle pourrait être tentée d’apaiser derrière cette porte. À l’intérieur de cette pièce, elle ne trouverait ni affection, ni loyauté, ni aucune aide offerte par simple amitié. Dresh ne lui donnerait jamais plus rien de tout ça. Tout ce qu’il pourrait lui fournir serait des informations, si elle s’y prenait bien et qu’il était suffisamment las du néant.

Il n’y avait aucun verrou. Rebeke approcha sa bouche du panneau et souffla un mot mélodieux avant de poser la main sur la porte. Ce mot était tout ce dont elle avait besoin pour entrer, et tout ce qui était nécessaire pour empêcher qui que ce soit d’autre d’entrer. Car derrière cette porte soufflait un vent ayant la puissance d’un ouragan, domestiqué et contrôlé, mais prêt à jaillir par la porte sur le premier intrus venu. Les consœurs qu’elle abritait chez elle étaient toutes au courant. Mais aucune d’entre elles n’osait poser la question de savoir ce qu’un garde aussi formidable pouvait bien protéger.

La pièce était aussi Spartiate que toutes les autres. Les mêmes murs et sols noirs, le même dénuement en termes de mobilier : une petite table et une chaise dans un coin, un tabouret surélevé dans l’autre. C’était tout. Elle posa sur la table le panier qu’elle portait et se retourna lentement. Un puits circulaire s’ouvrait au milieu de la pièce, sans rambarde pour protéger les imprudents. La noirceur de l’intérieur du puits était plus sombre encore que celle des murs de pierre. Rebeke s’avança jusqu’au bord pour regarder en contrebas. Elle ne vacilla pas, ni ne perdit l’équilibre car elle savait à quoi s’attendre : un long puits cylindrique de vide au fond duquel brillaient de minuscules lueurs tremblantes qui remplissaient un cercle à peine plus large qu’un poing fermé. À l’intérieur de ce cercle lointain, dissimulant certaines des lueurs, flottait la silhouette du magicien Dresh. Rebeke soupira tout en tirant une bobine de fine cordelette bleue de la manche de sa robe. Elle gardait les yeux fixés sur le corps qui tournait sur lui-même avec lenteur, bras et jambes loin du corps. Elle enroula la corde autour du puits en un cercle qu’elle ferma en formant une boucle à l’une des extrémités, au travers de laquelle elle fit passer l’autre bout. Un collet de magicien.

La mélodie simple qu’elle chantait à présent était aussi douce et plaisante qu’une brise soufflant au milieu des anémones. Le vent qui bouchait le puits s’envola pour répondre à son chant, aspirant dans son sillage le corps flottant du magicien. Rebeke, toujours debout au bord du puits, baissa les yeux vers lui. Ses yeux gris étaient ouverts. Elle y plongea les siens mais il semblait fixer un point derrière elle, son esprit prisonnier de la dernière pensée qu’il avait émise la dernière fois qu’elle l’avait emprisonné. Ses lèvres ciselées étaient légèrement entrouvertes, comme si elles retenaient encore quelques mots destinés à Rebeke. De beaux cheveux noirs flottaient doucement autour de son visage. Rebeke s’accroupit et agrippa l’épaule de son pourpoint noir, le tirant avec aisance jusqu’au bord du puits.

Lorsque sa main effleura le rebord, il expira bruyamment, tel un nageur qui remonte enfin à la surface pour reprendre son souffle. Il se débattit violemment pour trouver une prise sur le sol en pierre.

— Reby, je t’en prie !

Les mots étaient sortis de sa bouche avant que ses yeux ne soient redevenus entièrement conscients. Rebeke sentit son âme se déchirer devant la douleur contenue dans son regard. Tous deux s’immobilisèrent pendant un instant. Puis Dresh se tira péniblement hors du puits tandis que Rebeke se redressait et reculait de quelques pas.

Il ne prononça pas un mot en s’extrayant du gouffre, ne lui adressa pas même un regard jusqu’à ce que ses bottes reposent sur le sol, loin du puits. Refusant de se lever, il tira ses genoux à lui et posa ses bras par-dessus.

— Alors, demanda-t-il avec froideur, tu es revenue jubiler devant ton prisonnier ?

Le contrôle extraordinaire qu’il exerçait sur sa voix avait diminué, par manque de pratique. Depuis combien de temps n’avait-il pas parlé ? Rebeke se remémora la dernière fois qu’elle avait fait appel à lui. Pour le sorcier, les mois qui s’étaient écoulés depuis n’étaient qu’un unique et long moment sans rêve. Son cœur devait toujours bouillonner de rage et de désespoir à la suite de leur précédente rencontre. Combien de fois encore pourrait-elle le tirer du puits pour le faire parler avant de se retrouver confrontée à un dément ? Rebeke repoussa cette pensée. Elle n’agissait pas par vengeance ou par pitié. Elle l’avait tiré de là parce qu’elle avait besoin de lui, et ce besoin devait trouver sa réponse.

— Je suis venue pour poser des questions, Dresh.

— Hum. Et tu espères des réponses ?

Il lâcha un rire éraillé.

— Tu me surprends, Rebeke. Ainsi, tu me sors de là pour me poser des questions, c’est ça ? Mais plus tôt j’y répondrai, plus tôt tu me banniras de nouveau dans le néant. Alors pose tes questions, mais n’attends aucune réponse.

— Je vois. Tu nous as épargné à tous les deux une grande perte de temps.

Rebeke se pencha pour attraper l’extrémité du collet bleuté.

Dresh restait aussi immobile qu’un oiseau qui s’apprête à s’envoler à tire-d’aile.

— Je dois admettre que je ne m’étais pas attendue à te trouver si réticent, Dresh.

Rebeke continua à tirer la cordelette et Dresh vit le cercle de sa liberté se contracter.

— J’avais même apporté du vin et de quoi manger, car notre discussion aurait pu durer un bon moment.

Les yeux gris ne quittaient pas la cordelette sur le sol.

— Tu sais aussi bien que moi qu’au sein du vide, je n’ai aucun besoin. Je n’ai pas soif, je n’ai pas faim, je ne rêve pas. Je n’ai même pas envie de roter ou de pisser !

Ses yeux cherchèrent brièvement ceux de Rebeke pour voir si elle allait réagir à ses mots crus. Ce ne fut pas le cas.

— Dans le néant, je ne fais rien et je ne suis rien. Ma vie est suspendue. Penses-y, Rebeke : je pourrais vivre pendant des milliers d’années, avec des générations de Maîtresses des Vents venant me tirer de mon puits pour me consulter avant de m’y replonger. Je pourrais devenir une légende chez les Ventchanteuses, le conseiller secret, le...

— Tu ne vivras pas au-delà de ma propre existence. Je t’ai déjà promis que ton tourment ne durerait pas éternellement. Je sais ce que je t’ai fait et tu sais qui m’a forcée à le faire. Ces sujets n’ont plus à être discutés. Je sais que ton corps n’a aucun besoin ; je n’utiliserai pas la faim ou la soif pour te tourmenter. Mais tu pourrais avoir le désir de voir tes sens stimulés après une si longue période sans utilisation. Une gorgée de vin, un morceau de fruit séché, un peu de pain et de beurre...

Une expression vorace s’alluma dans les yeux gris de Dresh. Il joignit ses deux mains pour calmer le tremblement qui les agitait et fixa Rebeke. En silence. La pièce se mit à osciller lentement autour d’elle jusqu’à ce qu’elle lève les yeux pour rencontrer son regard. Sa bouche était douce et grave et elle serait chaude sous ses lèvres...

Rebeke arracha son regard à celui du magicien.

— Sois maudit ! N’essaye pas tes petits tours ici ! Je veux savoir tout ce que tu sais au sujet des Limbreth, comment créer une porte vers leur monde, comment fermer une telle porte, comment la traverser, comment établir un premier contact avec un Limbreth avant que la porte ne soit créée. Et toute autre information qui pourrait être utile.

Lâchant l’extrémité de la cordelette, elle marcha jusqu’à la petite table. De son panier, elle tira deux pêches. Elle mordit dans la première et fit voleter l’autre dans les airs avant de rattraper doucement le fruit mûr et duveteux. Elle retourna d’un pas tranquille vers le cercle formé par la cordelette en tirant son tabouret avec elle. Elle se baissa et se saisit de la corde après avoir posé la pêche intacte sur ses genoux.

— Alors ?

Dresh déglutit.

— Les Limbreth ou le Limbreth. Personne n’est sûr. Comment as-tu pu devenir une Maîtresse des Vents et rester aussi ignorante ? Les réponses sont toutes très simples, elles requièrent simplement que tu oublies tes idées préconçues sur la manière dont le monde est fait.

Il attrapa la pêche qu’elle lui lançait et mordit immédiatement dedans. Il soupira et se mit à mâcher en prenant son temps, n’avalant le morceau de fruit juteux qu’à regret.

— Le monde du Limbreth, reprit-il, touche le nôtre en un seul endroit, mais cet endroit peut être pratiquement n’importe où, là où tu le souhaites. Ne me demande pas comment j’ai appris tout ça ; tu te mettrais à trembler, scandalisée, et tu me balancerais dans le puits avant que j’aie pu finir ma pêche.

Il mordit de nouveau dans le fruit.

— Reprenons. Nous nous touchons et pourtant nous sommes infiniment éloignés. Un peu comme nous, hein, Rebeke ? Ceci dit, il est facile de les contacter. Dis-moi, Rebeke, si tu avais quelque chose d’important à dire à une Ventchanteuse très loin de toi, que ferais-tu ?

Elle haussa les épaules.

— Je la convoquerais ici par messager interposé.

— Aucune imagination. Ça a toujours été ton problème. Et tu as toujours été circonspecte à l’idée d’utiliser le pouvoir lorsqu’un peu d’huile de coude pouvait suffire. Un œuf de parole. Ne va pas t’imaginer que juste parce que vous les utilisez pour communiquer entre Chanteuses, c’est là la limite de leurs possibilités. Leur usage est épuisant, je suis sûr que tu en es consciente. Plus éloigné est l’endroit où l’œuf parle en ton nom, plus la fatigue sera intense. Mais pour l’œuf, ça n’a rien de difficile. Rien du tout. Cet œuf pourrait s’adresser à un millier de mondes, des mondes qui ne touchent le nôtre en aucune façon. L’œuf n’est limité que par la volonté qui le dirige.

Dresh termina sa pêche en deux juteuses bouchées.

— Je pense que tu pourrais avoir la volonté nécessaire pour atteindre un endroit aussi lointain. Cela te fatiguera et tu auras mal pendant plusieurs jours après ça. Mais si tu dois le faire, tu en seras capable.

— Parle-moi des portes.

Dresh tourna la tête et désigna le panier du doigt. Cette fois, Rebeke apporta le panier tout entier à côté de son tabouret. Elle en tira une assiette sur laquelle se trouvait une petite miche de pain croustillant, accompagnée d’une motte de beurre miniature et d’un morceau de fromage. Elle plaça un couteau en bois sur le bord de l’assiette qu’elle déposa à l’intérieur du cercle avant de la pousser vers Dresh.

Il la tira à lui avec un léger soupir puis leva les yeux vers la Ventchanteuse. Et pendant un instant, son regard fut totalement exempt de malice.

— Je n’aurais jamais cru qu’on pourrait m’acheter avec une petite miche de pain, du beurre et du fromage.

Il examina pensivement l’assiette.

— Tu sais, dès que je vois une miche intacte, je ne peux pas m’empêcher de penser à la petite boutique de Mickle et à la chaleur des fourneaux dans la cour, juste derrière. Et j’alimentais ces fourneaux toute la journée, même durant les jours les plus chauds, en échange d’une miche de pain et d’un endroit où dormir. Mickle me donnait toujours plus que ça, évidemment. Il n’a jamais été du genre pingre. Mais je me souviens comment je me suis promis qu’un jour, ma journée de labeur me rapporterait plus que ça. Et maintenant...

Il émit un petit rire puis capta le regard de Rebeke. Mais celle-ci arborait une expression neutre, soigneusement contrôlée.

— La porte, répéta-t-elle d’un ton sec.

Dresh haussa les épaules et entreprit de rompre la miche de pain entre ses doigts.

— Le Limbreth créera une porte si tu acceptes de l’y aider. Il aura besoin de ton aide pour visualiser ce côté-ci de la porte. Et cette coopération implique généralement un échange de présents.

— Quel genre de présents ?

Dresh était en train de beurrer son pain et il répondit la bouche pleine.

— Rien qu’une Ventchanteuse ne puisse se payer. Toute personne dont tu souhaites te débarrasser. J’ai cru comprendre qu’ils acceptaient même les magiciens.

Rebeke ne put s’empêcher de rire. Dresh lui sourit largement et, l’espace d’un instant, l’atmosphère de la pièce changea. Elle posa sur lui un regard presque tendre. Mais elle secoua lentement la tête et le sentiment s’évanouit.

— Que font les Limbreth de tels cadeaux et que donnent-ils en retour ?

— Les Limbreth... répéta tout haut Dresh en se coupant un morceau de fromage. Les Limbreth sont des créatures fascinantes. Personne n’a pu découvrir s’il y en avait un ou plusieurs. Mais on ne sait pas grand-chose avec certitude. Ils disposent d’un intellect remarquable mais d’aucune capacité physique. Ils ignorent les besoins et les désirs propres aux corps physiques, en tout cas pas d’après ce que nous en comprenons. C’est leur âme qui a besoin d’être alimentée. Ils ont des envies de création mais n’ont que peu de supports artistiques propres. On raconte qu’autrefois, ils créaient de la poésie, des contes, des chansons et s’en contentaient très bien. Mais c’était avant que nous ne les corrompions. Les Limbreth utilisent les créatures expédiées à travers les portes comme des outils pour d’autres types de création. Le seul problème est qu’ils les exploitent jusqu’au bout. Le problème pour les créatures en question, je veux dire. C’est plutôt un avantage pour ceux qui leur font passer la porte.

— Ainsi il pourrait déjà être trop tard, murmura Rebeke pour elle-même. Et qu’offrent-ils en échange, Dresh ?

— J’ai soif.

Rebeke s’occupa d’ouvrir la bouteille de vin et de lui verser à boire. Elle se releva pour déposer le verre à portée de la main du magicien. Il leva le verre et lui lança un regard plein de gravité en guise de toast silencieux. Il but avant de revenir à la discussion.

— Les Limbreth donnent tout ce qu’on leur demande, s’ils l’ont. Mais demande-toi ce qu’ils peuvent bien avoir qui puisse t’intéresser. Ils ne se sustentent pas comme nous, ils ne portent ni habits ni bijoux, et n’accumulent aucune richesse d’aucune sorte. Que demanderais-tu à un Limbreth ?

Rebeke réfléchit tout en le regardant boire.

— De la poésie ? Leurs chansons exercent-elles une fascination quelconque ?

— Ce serait plutôt le contraire. Elles sont difficilement compréhensibles, sauf peut-être pour un autre Limbreth, s’il y a effectivement d’autres Limbreth. J’ai pu en entendre une par le passé. Cela m’a ennuyé au point de cesser d’écouter.

— Disposent-ils de certains pouvoirs ? Y a-t-il des faveurs qu’ils puissent accomplir ?

— La faveur qu’ils te feront est de débarrasser notre monde d’une personne importune. Cela m’a toujours paru insupportablement effronté de leur demander d’y ajouter un présent. Mais certains le font.

— Et que leur donnent les Limbreth ?

— Essaye de deviner. Cela me distraira pendant que je mangerai et ça prendra plus de temps. Je ne suis pas particulièrement pressé de retourner dans mon puits.

— Dresh ! l’avertit Rebeke en agrippant l’extrémité de la cordelette.

Il soupira.

— Les Limbreth offrent des choses sans intérêt, mais de bonne foi. En tout cas c’est ce qu’ils aimeraient nous faire croire. Par exemple : une gorgée de leur eau, qui est supposée apporter des rêves agréables, la paix et l’inspiration. Elle apporte surtout un désir insatiable de voir le Limbreth en personne et de s’accomplir en lui. Dedans.

— Et quoi d’autre ?

— Ma chère Rebeke, tu me flattes. Crois-tu que j’aie personnellement eu affaire à eux ? Ce serait de mauvais goût, même pour moi. Non, tout ce que j’ai à t’offrir, ce sont les rumeurs que j’ai rassemblées à leur sujet. Elles affirment que personne n’a jamais reçu quoi que ce soit qui mérite d’être conservé de la part d’un Limbreth. À moins que tu ne considères comme valable le fait d’être débarrassé de quelqu’un.

Rebeke se mit à réfléchir. Dresh termina son pain et son fromage, après quoi il désigna le panier du menton.

— Il y a autre chose ?

— Et toi, tu as autre chose à me dire ? répliqua-t-elle.

— Ça dépendra de ce qu’il y a dans le panier.

Des champignons et des tartelettes aux oignons.

— Tous ceux qui se sentent obligés d’avoir un pire ennemi feraient bien de choisir une ancienne amante. Elle sera la plus à même de les tenter et de les tourmenter. Fais-les-moi donc passer. La porte elle-même... Là, ça se complique. Le Limbreth l’a créée en ouvrant un espace entre les mondes. Mais elle ne peut être laissée ouverte à tous, car les éléments de leur monde et du nôtre ne peuvent être mélangés au grand jour, au risque d’alerter un Rassembleur. C’est pourquoi le Limbreth place un Gardien au sein de la porte, un serviteur qui empêche les indésirables d’utiliser la porte et la porte elle-même de se refermer avant que le Limbreth n’en ait terminé avec elle.

— Et si la porte était forcée ?

— Peu probable, marmonna Dresh, la bouche pleine. (Il prenait le temps de savourer la nourriture.) Très peu probable. Même si le Gardien n’était pas là, il faut prendre en compte les différences entre les mondes. La lumière du leur, par exemple, est faible et tamisée, et les habitants sont étranges et imprévisibles. Ils paraissent doux comme des moutons mais peuvent s’avérer dangereux. Donc, pour protéger les deux mondes, le Limbreth scelle la porte. C’est difficile à décrire. Un peu comme la membrane d’un œuf de poisson. Si les Limbreth le désire, cette membrane s’affaisse pour laisser passer quelqu’un.

— Et si on l’arrachait ou la trouait par la force ?

Dresh finit son vin.

— Impossible. En se battant en même temps contre le Gardien ?

— C’est ce qui s’est passé.

Rebeke regretta ses mots au moment même où elle les prononçait. Ils étaient assis là à deviser comme de vieux amis et non comme prisonnier et Maîtresse des Vents. Et l’information lui avait échappé. Se confier à Dresh la rendait légèrement vulnérable face à lui et il saisit sans remord ce fragment de pouvoir à exercer sur elle.

— Alors je crois que tu as un problème sur les bras. Dommage que tu n’aies pas d’amis pour t’aider dans cette situation.

— En effet. Dis-moi ce qui se passe lorsqu’une porte est déchirée.

— Cela n’est jamais arrivé auparavant. Voyons voir : cela créerait un flux d’un monde vers l’autre, et qui sait quelles saletés pourraient passer de l’autre côté ! Mais cela reste mineur. Le plus important est que les Rassembleurs seraient immédiatement informés de la présence de la porte et sauraient que quelqu’un s’est mêlé de faire quelque chose là où il n’avait rien à faire.

— Que feraient-ils ?

— Qui peut le dire ? Ceux qui établissent les règles n’ont pas à révéler les sanctions. Rien, peut-être. Peut-être qu’ils ne s’intéressent pas à nous à ce point. Mais s’ils décidaient d’agir, je dirais qu’ils feraient quelque chose de terrible. De plus terrible que ce que nous pouvons imaginer.

Rebeke resta silencieuse, le regard perdu dans le vague tandis qu’elle tentait d’imaginer de tels êtres. Les Rassembleurs avaient créé ce monde et l’avaient peuplé en fonction de leurs désirs. Après quoi ils avaient établi pour leurs peuples des règles de vie en communauté.

Dresh leva les yeux de son assiette, non sans y avoir prélevé les dernières miettes.

— Qui l’a déchirée ? demanda-t-il d’un air rusé.

Rebeke le fixa, les yeux plissés. Mais quel mal y avait-il à le lui dire ?

— Vandien.

— Vandien ?

Il était incrédule. Puis un rire lui échappa, emplissant la pièce.

— Avec l’aide de Ki, à n’en pas douter ! Ces deux-là auront notre peau !

Sa voix avait la chaleur de celle d’un parent qui s’exclame à propos d’enfants turbulents. Rebeke le contemplait avec stupéfaction. Poussant un profond soupir, il contrôla son rire et rencontra son regard.

— Allons, tu ne peux pas être surprise ! Si tu laisses traîner des outils acérés, quelqu’un finira forcément par se blesser. Moi le premier, toi ensuite. Ça équilibre un peu le score, non ?

— Dresh... (Rebeke interrompit son hilarité.) Qu’en est-il vraiment de Ki ?

Dresh lui sourit.

— Ne cherche pas à me duper, Ventchanteuse. Nous nous sommes tous les deux servis d’elle, n’est-ce pas ? Tu sais très bien ce qu’il en est, sans quoi tu ne lui aurais pas fait traverser une porte.

Rebeke le fixa sans rien dire. Il plongea son regard dans ses yeux bleu et blanc pour déchiffrer ses pensées. Elle le laissa faire.

— Oh, oh ! Donc tu ne l’as pas fait traverser. Cette petite histoire devient de plus en plus juteuse. Qu’en est-il de Ki ? Je ne crois pas que tu aies quoi que ce soit dans ce panier qui puisse te permettre de m’acheter ce secret.

— Le panier est vide, admit Rebeke.

— Tu pourrais m’offrir un autre genre de sensation, suggéra-t-il d’un ton obscène.

— Dresh, ne me provoque pas.

— Je n’ai jamais été particulièrement attiré par les écailles, mais cela pourrait s’avérer intéressant.

— Ne fais pas le malin.

— Ce n’est pas le cas. J’ai quelque chose à vendre et j’attendrai ta meilleure offre.

— Alors demande quelque chose que je puisse t’offrir.

— Ma liberté.

— Non !

— Alors il semble que notre négociation s’arrête là.

Dresh haussa les épaules, les genoux entre les bras.

— Il semble bien.

Rebeke s’accroupit et s’empara de la cordelette. Elle se mit à l’enrouler, presque avec désinvolture. Le cercle de Dresh commença à rapetisser.

— Ce n’est pas sportif du tout ! siffla-t-il lorsque la cordelette fut sur le point de le toucher.

Rebeke s’arrêta.

— Ce n’est pas un jeu.

— Donne-moi au moins quelque chose en échange de mon secret. Que penses-tu de ça : mon secret en échange du tien. Dis-moi exactement tout ce qui se passe et je te dirai ce que je sais au sujet de Ki.

Rebeke lui jeta un regard noir, après quoi elle entreprit néanmoins de lui exposer sobrement la situation. Le sourire que Dresh arborait disparut progressivement au fil du récit. Elle eut presque le sentiment de voir les rouages de son esprit s’élancer le long des pistes de tromperies et de subterfuges typiques du magicien. Lorsqu’elle finit de parler, il se frottait lentement les mains, les yeux plongés dans les profondeurs du puits. Puis il lui décocha un regard qui effraya Rebeke.

— Mon heure est venue, même si c’est d’une manière que je n’aurais jamais pu prévoir. Je vais abattre le Haut Conseil. Oh, ce sera de ton fait. La robe t’ira très bien, Rebeke, mais c’est moi qui en aurai taillé l’étoffe. Elles t’ont arrachée à moi et j’ai juré de le leur faire payer. Mais je n’aurais jamais cru que tu serais mon instrument.

— Tu outrepasses tes limites, magicien, lui lança-t-elle d’une voix monocorde mais lourde d’avertissement.

— Bien sûr que oui. Et toi aussi, avec ton magicien dans son puits et ta relique pour faire chanter le Haut Conseil. Plutôt amusant, non ? Maintenant, écoute-moi, car je vais devoir me montrer bref. Un jour, il y a longtemps, arborant un visage que tu ne reconnaîtrais pas, j’ai passé une soirée dans un campement Romni. J’y ai entendu de nombreuses chansons Romni, mais l’une d’elles était différente des autres. Elle parlait d’une femme qui était morte en reprenant sa petite fille aux Ventchanteuses. Je me suis mis à poser des questions au sujet de la chanson et quelque chose d’étrange s’est produit : la caravane Romni tout entière n’avait rien à dire. Ils n’insistaient pas sur la véracité de la chanson, ne pouvaient pas dire qui l’avait chantée en premier. Et, malgré leur silence, ce chant m’en apprit beaucoup. Le nom de la femme était Wisteria. La créature employée par les Ventchanteuses pour la tuer était une harpie. Et le bébé avait survécu.

— Absurde !

— Comme tous les vrais coups de chance. Il était possible qu’il existe quelque part une enfant ayant été «Ventchanteurisée » puis récupérée par ses parents.

— Pendant combien de temps avons-nous eu l’enfant ?

L’inquiétude était perceptible dans la voix de Rebeke autant que sur son visage.

— La chanson n’en disait rien. Cesse de poser des questions et écoute. J’ai fait des recherches dans toutes sortes de directions. J’ai parlé à des harpies, j’ai discuté avec de vieux Romni qui connaissaient la généalogie des tribus. J’ai suivi des pistes presque disparues et je les ai perdues cent fois. J’ai fini par réduire mes options à une poignée de jeunes femmes Romni, mais plus je poussais mon enquête, plus les Romni devenaient jaloux de leurs secrets. Je compris bientôt ce dont ils avaient peur : que les Ventchanteuses n’aient pas oublié l’enfant. Les Romni sont particulièrement soigneux et je fus rapidement convaincu que le secret était si bien gardé que même la fille impliquée ne pouvait pas le trahir, car elle ignorait tout. J’en fus réduit à garder un œil sur les allées et venues de ces jeunes femmes. Une tâche plutôt complexe. Et puis un nouveau coup de chance se produisit. Les Ventchanteuses n’avaient pas oublié. Ou en tout cas, c’est ce que j’ai pensé lorsque le mari et les deux jeunes enfants d’une femme Romni furent assassinés par des harpies, en apparence juste pour le plaisir.

C’était un point de départ des plus ténus, évidemment. Mais ajoutons-y d’autres faits. Le père de cette fille, un homme appelé Aethan, ne lui avait jamais permis de prendre pour mari un jeune homme Romni, bien que selon leurs coutumes elle ait été plus qu’en âge de le faire. Et, après la mort du père, aucun jeune Romni ne l’approcha pour une union, bien qu’elle constitue un bon parti, avec un chariot et un attelage à son nom. Qu’est-ce qui la rendait donc intouchable ? Elle se trouva un homme, mais ce n’était pas un Romni et elle lui donna deux enfants, normaux d’après tout ce que j’ai pu apprendre. Et puis les harpies en ont fait une veuve et lui ont tué ses enfants. Coïncidence ? Peut-être. Mais ce qui s’est passé ensuite n’en est pas une. Ki s’est vengée des harpies, en résistant non seulement à leurs agressions physiques mais aussi à leurs autres pouvoirs. Cela m’a convaincu que c’était elle.

— Cela explique bien des choses étranges, intervint Rebeke, une expression rêveuse sur le visage. Tu n’as pas besoin d’en dire plus. Tu t’es dissimulé en mêlant ton aura à la sienne, alors qu’elle n’aurait même pas dû en avoir une. Et quand elle a balayé tes runes, cette nuit-là dans l’auberge, pour me libérer de ton emprise, cela aurait dû la tuer, ou au moins la rendre infirme. Mais elle n’a été que momentanément assommée.

Dresh hocha la tête, l’air amer.

— Je me suis montré imprudent. J’ai laissé traîner un outil acéré. J’en sais plus sur elle que je ne pourrais raconter en une nuit, car je l’ai étudiée de très près. J’ai voyagé sur son chariot plus souvent qu’elle n’en a idée, car elle a pour habitude de prendre les voyageurs fatigués à son bord. Voilà, tu sais tout. Ki est une Ventchanteuse qui n’a jamais été façonnée. Elle a ingéré vos potions mais elle n’a pas évolué physiquement. Certaines des membres du Haut Conseil doivent avoir eu connaissance de son existence mais se sont contentées de l’observer, en lui arrachant son compagnon et ses enfants lorsque cela leur a semblé opportun, pour éviter que les enfants n’héritent de pouvoirs que le Conseil n’aurait pu contrôler. Mais Ki ? Tout ce qu’elle semble avoir, c’est une prédilection pour échapper à la magie. Pas un pouvoir, plutôt une immunité. Lorsque je l’ai trouvée et utilisée, j’imagine que cela a effrayé le Conseil. Alors elles ont décidé de l’écarter définitivement de leur chemin. Avec une porte.

— Pourquoi ne l’avoir pas tout simplement assassinée ?

— Je soupçonne que pendant une longue période, même les Ventchanteuses n’étaient pas certaines de savoir quel bébé elles devaient éliminer. Et lorsqu’elles l’ont enfin appris, elles avaient également vu d’autres possibilités. Elles espéraient qu’avec le temps, la fille leur serait utile.

— Sommes-nous tombées si bas ?

— Tu peux répondre à cette question mieux que moi. Allons, Rebeke. Joins-toi à moi pour comploter à la meilleure manière de tourner ceci à notre avantage.

Rebeke secoua la tête d’un air absent. Elle resta assise en silence, les yeux rivés sur le sol noir devant elle tandis que son esprit passait en revue toutes les possibilités.

— Tu en as fini avec moi, c’est ça ?

Rebeke sortit de sa rêverie pour découvrir les yeux gris de Dresh qui la fixaient d’un air de supplique. Il n’attendit pas sa réponse.

— Je t’en prie, Rebeke. Pas le néant, pas encore. J’accepterais n’importe quoi d’autre. Comme toi, je n’imagine rien de pire. Enchaîne-moi, coupe-moi les mains et réduit ma langue au silence, prive-moi de l’ouïe et de la vue si tu veux. Ce serait encore préférable au vide, car au moins je serais réel.

Rebeke reprit la cordelette en essayant de ne pas l’entendre, car elle n’osait rien faire d’autre avec lui. C’était un être plein de traîtrise, se répétait-elle, un homme qui gardait en mémoire pendant des années les moindres vexations, un magicien qui n’oublierait jamais qu’elle l’avait un jour vaincu.

— Je t’ai aimée !

Il lança ces mots vers elle comme des projectiles.

— Je t’ai aimée et tu t’es détournée de moi pour rejoindre les Ventchanteuses, sans même un mot d’explication. Comment pouvais-tu t’attendre à ce que je ressente pour elles autre chose que de la haine ? Oui, j’ai comploté contre elles, je leur ai infligé autant de dommages que j’ai pu ! Mais c’était contre elles que j’agissais, non contre toi. Tu étais ce qu’elles m’avaient dérobé, la Rebeke que je chérissais.

Elle s’emporta :

— Tu ne m’aimais pas, Dresh  – tu te voiles la face. Tu aimais être mon maître. Tu façonnais mes pouvoirs naissants en fonction de tes désirs et cela t’apportait une immense satisfaction. Tu m’aimais comme tu aimais avoir un faucon bien dressé au poing. J’étais un outil, aussi acéré que Ki. Mais tu ne ressentais pas plus d’amour pour Rebeke que tu n’en ressentais pour un faucon sauvage naviguant au gré des vents.

— Sois maudite ! C’est faux ! Je t’aurais appris des choses, j’aurais fait de toi mon égale dès que tu aurais été prête. Tu étais trop impatiente, comme un enfant tentant d’attraper une flamme. Je ne t’ai gardée à l’écart que de ce qui pouvait te faire du mal. Et les punitions que je t’ai infligées étaient celles d’un parent qui punit une enfant qui se met en danger.

Rebeke n’écoutait pas. Elle interdisait à ses oreilles d’entendre. Elle tira lentement la cordelette à elle, réduisant le diamètre du cercle bleu. Dresh se leva, continuant à parler tandis que le cercle se refermait sur lui. Il se tint en équilibre sur le rebord du puits, agitant les bras tout en lui criant :

— Tu me hais car je me suis conduit comme ton maître et que je t’ai donné des ordres ! Mais qu’es-tu en train de me faire à présent ? Si le fait de commander quelqu’un d’autre est une faute aussi grave, comment te feras-tu pardonner ?

Il ne cria pas en tombant : le néant s’empara de lui trop vite pour qu’il en ait le temps. Il dériva lentement comme une feuille d’automne voletant dans le vent et Rebeke le regarda partir, en rembobinant la cordelette pour la ranger dans sa manche.

— Je suis une Ventchanteuse, se rappela-t-elle. Ce que j’étais avant n’existe plus.

A contrecœur, elle porta une main à son visage pour tenter d’apaiser la douleur qui traversait ses yeux, gonflés par des larmes qu’ils n’étaient plus capables de laisser couler.

La porte du Limbreth
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